Les dérives sectaires au regard du droit privé

Si les dérives sectaires font naturellement penser au non respect des textes du code pénal, il ne faut pas négliger les décisions des juridictions civiles, quantitativement très importantes.

La sphère familiale

Dans ces procédures, souvent discrètes, c’est également le comportement des individus membres de mouvements sectaires qui peut donner lieu à des décisions défavorables et non son appartenance à un tel mouvement.

Le droit de la famille

L’appartenance à un mouvement sectaire ne saurait seule constituer une cause de divorce (Cour d’appel de Dijon 23 septembre 1997).
C’est seulement quand le comportement d’un époux perturbe gravement la vie du couple, que le juge aux affaires familiales peut estimer que celui-ci constitue une faute rendant intolérable le maintien de la vie commune, et prononcer le divorce sur ce fondement (Cour d’appel de Nancy 23 février 1996 ; Cour d’appel de Montpellier 7 novembre 1994).

Le zèle excessif dans la pratique de la doctrine du mouvement religieux ou d’autre nature, le prosélytisme, le désintérêt manifesté pour sa famille et son entourage, la violence sont des causes de perturbation grave dans la vie familiale, incompatible avec le maintien du lien familial (Cour de Cassation.civ. 8 juillet 1987 ; Cour d’appel d’Agen 2005).
De même la seule appartenance d’un parent à un mouvement à caractère sectaire ne saurait justifier une décision défavorable à l’égard de ce dernier, s’agissant de la fixation de la résidence des enfants ou des droits de visite et d’hébergement.

Ce sont les conséquences de ses choix et non les choix en eux même qui sont critiquables lorsqu’ils mettent en danger l’équilibre d’un enfant.
En cas de séparation, lorsque les pratiques d’un parent présentent un risque sérieux de perturbation physique ou psychologique des enfants, le juge aux affaires familiales peut décider de fixer la résidence habituelle chez l’autre parent ou de restreindre l’exercice du droit de visite et d’hébergement (Cour de Cassation. 2e civ.13 juillet 2000 ; Cour d’appel d’Aix en Provence 2004,).

La Cour d’appel de Grenoble a réaffirmé la liberté religieuse d’un père et de sa fille sous réserve d’une ouverture et d’une participation à la vie sociale.

L’enfance en danger

Le juge des enfants est saisi lorsque la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur sont en danger ou que les conditions de son éducation sont gravement compromises.
Dans ce cadre, ce magistrat peut prononcer des mesures éducatives de type placement ou suivi éducatif au domicile des parents.

Au-delà des privations de soins et d’aliments ou des violences physiques ou sexuelles rencontrées dans certains groupes, le choix par des parents pour leurs enfants d’un mode de vie dans un « monde clos » où ils ne sont ni correctement scolarisés ni sérieusement instruits est aussi de nature à justifier un signalement au procureur de la République sur le fondement des articles 375 et suivants du Code civil.

La Cour de Cassation le 22 février 2000, confirme une décision qui avait enjoint à la mère de ne pas mettre ses enfants en contact avec des membres du mouvement raëlien, à l’exception d’elle-même et de son compagnon, de ne pas sortir les enfants du territoire français sans accord écrit de leur père.
Pour la Cour de Cassation l’arrêt attaqué ne portait pas directement atteinte aux droits et libertés mais soumettait simplement leur exercice à des conditions dictées par le seul intérêt des enfants.

Le rapport d’enquête parlementaire « l’enfance volée » clôturant la commission parlementaire de 2006 a fait 50 propositions pour protéger les enfants, cibles particulièrement vulnérables, des dérives sectaires.

La sphère du travail

Les parlementaires dans leur rapport de 1999 intitulé « Les sectes et l’argent » ont rappelé que l’enrichissement étant un des principaux objectifs des mouvements sectaires (avec le pouvoir), ces derniers se sont efforcés d’infiltrer les entreprises car ils peuvent en attendre trois avantages :

  • attirer les fonds au premier rang desquels ceux de la formation professionnelle dont le financement est très important et peu contrôlé
  • retirer une certaine notoriété
  • développer leur prosélytisme

Plusieurs axes de la vie professionnelle peuvent être concernés :

  • L’exploitation de l’adepte :la forte soumission et la dépendance au responsable ou au gourou peuvent conduire des membres du mouvement à travailler dans des conditions sanctionnées par la loi au titre du travail dissimulé.
  • La formation professionnelle : il a été jugé également que des salariés pouvaient légitimement refuser de participer à une action de formation décidée par leur employeur quand les méthodes utilisées au cours de cette formation se rapprochaient de celles d’une association signalée comme étant de caractère sectaire (Cour d’appel de Versailles, 22 mars 2001).
  • La fourniture de services : en approchant au plus près certaines fonctions stratégiques de l’entreprise (service informatique, direction des ressources humaines), les mouvements sectaires peuvent obtenir des données personnelles sur les salariés ou des informations essentielles sur la vie de l’entreprise.

La sphère infractionnelle

L’infraction de droit commun n’est possible que parce que la victime a d’abord été détruite psychologiquement, placée sous l’emprise d’un groupe ou d’un gourou. L’emprise est préalable à l’acte délictueux ; le droit commun s’applique dans un domaine spécifique caractérisé par la contrainte.
Il n’y a pas en France de législation « antisecte » mais des textes de droit pouvant s’appliquer aux dérives sectaires.

L’application des textes d’incrimination généraux

De très nombreux agissements des mouvements sectaires peuvent tomber sous le coup de la loi pénale et ainsi constituer les dérives.
Compte tenu de leur mode d’organisation ou de financement, de l’activité économique qu’ils développent ou du mode de vie qu’ils revendiquent, certains mouvements à caractère sectaire s’exposent à des formes particulières de délinquance.

Il faut souligner l’importance de se référer à la doctrine du mouvement et l’intégrer à l’enquête car elle contient pratiquement systématiquement l’idéologie qui préconise la violation de la loi.

Infractions les plus fréquemment relevées sans être exhaustif car l’imagination des gourous est sans limite.

Les groupements à prétentions thérapeutiques ou guérisseuses s’exposent à commettre des infractions au Code de la santé publique, notamment, au titre de l’exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie ou les homicides involontaires :

  • La Cour d’appel de Chambéry 1er juillet 2004 condamnant Ryke Geerd Hamer pour escroquerie et complicité d’exercice illégal de la médecine à trois ans d’emprisonnement ;
  • La Cour d’assises de Quimper le 3 juin 2005 condamnant des parents adeptes d’une pratique thérapeutique non réglementée ( la kinésiologie) à 5 ans d’emprisonnement dont 52 mois avec sursis et mise à l’épreuve pendant trois ans pour non assistance à personne en danger ;

Les atteintes aux biens, les faits d’escroquerie ou d’abus de confiance, les tromperies sur les qualités substantielles ou les publicités mensongères sont régulièrement signalés dans certains mouvements proposant des prestations de développement personnel ou d’amélioration sensible et rapide des potentialités de leurs clients ou de leurs membres (procès de la scientologie à Lyon TGI 22 novembre 1996 et Cour d’appel 28 juillet 1997).

Il faut bien comprendre que l’argent est le moteur de la quasi-totalité des mouvements sectaires. Il n’est pas rare de voir que les adeptes d’un mouvement vivent dans le plus grand dénuement car ils ont fait don de tous leurs biens au groupe avec les conséquences indirectes que cela peut entraîner sur une famille non adepte. Le gourou lui ne subit pas le même sort : Il a en général un train de vie dispendieux.

Les flux financiers des grands mouvements transnationaux sont difficiles à cerner sur le plan fiscal notamment et la situation patrimoniale peut être obscure. Le rapport parlementaire de 1999 « Les sectes et l’argent » a mis l’accent sur les difficultés de recouvrement des dettes fiscales et l’organisation d’insolvabilité des mouvements sectaires.
Les atteintes aux personnes, les violences physiques, les abus sexuels, la non assistance à personne en péril et les privations de soins ou d’aliments au préjudice de mineurs, sont constatés, le plus souvent, au sein de communautés repliées sur elles-mêmes et résolument coupées du monde extérieur.

Au sein des mouvements sectaires, le sexe va tenir un rôle important, rôle qu’il n’a pas forcément dans le reste de la société. Il peut servir de moyen d’asservissement des adeptes. Certains gourous prônent la chasteté pouvant aller jusqu’à la castration. D’autres décident quel sera le conjoint de leur adepte.
Dans certains mouvements, au contraire, une sexualité complètement libre est préconisée, où de multiples partenaires sont recommandés voire imposés, où l’on préconise d’avoir des relations sexuelles aussi bien avec des adultes qu’avec des enfants même si pratiquement tous aujourd’hui s’en défendent vigoureusement. Parfois le sexe est le moyen de recrutement des nouveaux adeptes (flirty fishing qui peut parfois constituer l’infraction de proxénétisme).

Les infractions en matière d’obligation scolaire appellent une vigilance toute particulière. La loi du 18 décembre 1998 renforçant le contrôle de l’obligation scolaire a créé des incriminations à l’encontre des parents ou des directeurs d’établissements privés qui ne respecteraient pas leurs obligations à l’égard des enfants (articles 227-17 et 227-17-2  du Code pénal). La loi du 5 mars 2007 vient renforcer le dispositif de protection des enfants.
 
Le cas de la non dénonciation de crimes : la Cour de Cassation dans son arrêt du 13 septembre 2000, confirme l’arrêt de la cour de Montpellier condamnant des membres d’un mouvement qui n’avaient pas dénoncé des faits de violence sexuelles sur mineur dont ils avaient eu connaissance par confession interne devant le conseil des anciens.
Les incriminations du droit pénal étaient avant 2001 suffisantes pour lutter contre la majorité des agissements dérivants des mouvements sectaires. Toutefois certains comportements restaient en dehors du champ de la répression et les parlementaires ont voté en 2001 une modification de la loi sur l’abus d’état de faiblesse en y ajoutant l’état de sujétion.

Le cas particulier de la loi About-Picard du 12 juin 2001

Cette loi, tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, ne concerne pas que les seuls mouvements sectaires. Elle est applicable à toutes personnes morales de droit ou de fait. Ce texte a organisé une nouvelle procédure de dissolution civile des personnes morales et a élargi l’ancienne incrimination d’abus frauduleux de l’état de faiblesse.

Le nouvel article 223-15-2 du Code pénal réprime l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse d’un mineur ou d’une personne particulièrement vulnérable en raison de son âge, d’une maladie ou d’une infirmité. Il protège aussi, désormais, la personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement pour la conduire à des actes ou à des abstentions qui lui sont gravement préjudiciables.

L’emprise sectaire ou la mise sous sujétion

Les motivations pour entrer dans un groupe sont souvent réactionnelles à des aspirations non satisfaites.

Le chemin est initiatique : l’itinéraire est balisé d’étapes précises et de degrés que l’adepte devra atteindre s’il en est jugé capable ; il s’accompagne :

  • d’une infantilisation
  • d’un renoncement aux valeurs antérieures
  • de la certitude que la croyance est le gage de loyauté et qu’elle assure l’unité et la pérennité du groupe
  • de la certitude d’être une partie d’un ensemble indissociable
  • de sacrifices importants sur les plans psychologique et matériel, garantie de l’autorité du leader
  • de la mise en place d’une suprématie élitiste

Le dossier du fondateur du mouvement Néo phare à Nantes a permis la première condamnation définitive sur ce fondement et plusieurs autres procédures sont en cours dans le domaine des dérives sectaires.

Il s’agissait d’agissements particuliers d’un gourou, ayant incité un de ses adeptes à se suicider dans un contexte à connotation religieuse, apocalyptique, ufologique et spirituelle. L’objectif du gourou était d’isoler physiquement et psychiquement les membres du mouvement, de démolir leurs repères pour les soumettre à sa seule volonté.
 
L’expert psychiatre a eu un rôle déterminant tant à l’instruction (rapport de 50 pages) qu’à l’audience : il a mis en lumière un type de relations très particulier entre les personnes à partir de l’étude des textes (doctrine) et des vidéos rapportant les séances du groupe (trois heures de visionnage à l’audience d’une sélection de séances filmées par le groupe lui-même et établissant l’emprise mentale).

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