Les dérives sectaires au regard du droit administratif

Si le droit pénal est en matière de dérives sectaires plus visible pour l’opinion publique, les juridictions administratives rendent également des décisions importantes dans ce domaine.

Le refus de soins

La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a reconnu aux patients un droit d’opposition aux soins.
Il résulte de l’article L. 1111-4 du Code de la santé publique (CSP) que :
« […] le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix. ».

Le Conseil d’État s’est prononcé à plusieurs reprises sur la portée du droit d’un majeur de s’opposer aux soins.

Par arrêt du 26 octobre 2001, il a jugé que l’obligation de sauver la vie ne prévaut pas sur celle de respecter la volonté du malade. Évoquant le fond du dossier, la haute juridiction a décidé, cependant, que « compte tenu de la situation extrême dans laquelle le malade se trouvait, les médecins qui avaient choisi, dans le seul but de le sauver, d’accomplir un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état, n’avaient pas commis de faute de nature à engager la responsabilité de l’Assistance publique ».
Par ordonnance de référé du 16 août 2002, le Conseil d’État a confirmé cette jurisprudence en affirmant que si le droit pour un patient majeur de donner son consentement à un traitement médical constituait une liberté fondamentale, la pratique, dans certaines conditions, d’une transfusion sanguine contre la volonté du patient, ne constituait pas une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté.

S’agissant des mineurs ou des majeurs sous tutelle, leur consentement doit être systématiquement recherché s’ils sont aptes à exprimer leur volonté et à participer à la décision. Dans le cas où le refus d’un traitement par la personne titulaire de l’autorité parentale ou par le tuteur, risque d’entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur ou du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables (article L. 1111-4 du CSP).

En outre, dans une décision du 24 avril 1992, le Conseil d’État a jugé que des personnes candidates à l’adoption qui refuseraient d’accepter les transfusions sanguines « ne présentaient pas les garanties suffisantes en ce qui concerne les conditions d’accueil qu’ils sont susceptibles d’offrir à des enfants » et que leur attitude justifie un refus d’agrément par le président du conseil général.

Le cas des assistantes maternelles

Dans un jugement du 7 février 1997, le tribunal administratif de Versailles a validé la décision des services de l’aide sociale à l’enfance de retirer son agrément à une assistante maternelle et de ne plus lui confier d’enfants en raison du prosélytisme auquel elle se livrait en faveur du mouvement auquel elle appartenait.

De même le Tribunal administratif de Lyon le 3 mars 1998 justifie le retrait d’agrément d’une assistante maternelle accueillant des enfants à son domicile par le fait « que l’intéressée refuse d’exercer auprès des enfants des pratiques pédagogiques essentielles (fête de Noël, ainsi que les anniversaires des enfants alors que ces festivités constituent des repères familiaux et sociaux essentiels pour les enfants concernés) »

La loi du 27 juin 2005 relative au statut des assistantes maternelles exige que l’agrément dépende de la présentation de garanties pour accueillir des mineurs dans des conditions propres à assurer leur développement physique, intellectuel et affectif.

La question particulière de la communication de documents administratifs

Le droit positif pose le principe de la transparence et de la communicabilité des actes de l’administration : sont communicables, quel que soit leur support, les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, directives, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions et décisions élaborés ou détenus par l’État, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées de la gestion d’un service public.

Les raisons de ces demandes

Il faut bien comprendre que le but de ces demandes par les mouvements sectaires n’est pas la défense d’un droit individuel mais bien la mise en difficulté des administrations ou des associations dont l’objectif est de lutter contre les dérives des mouvements sectaires. Le but réel de ceux-ci est de ralentir l’action mise en place par l’État et d’intimider ceux qui veulent prévenir ou dénoncer les atteintes aux libertés.

La multiplication des demandes vise à permettre aux mouvements sectaires de savoir de quels documents les concernant disposent les administrations, mais aussi d’accéder aux documents administratifs relatifs aux associations de défense des familles contre les dérives sectaires ainsi qu’à leurs relations avec les services de l’État (subventions allouées, courriers échangés …).

Cela permet aussi aux mouvements sectaires, ses filiales et leurs adeptes, de connaître les objectifs et les moyens mis en œuvre par les autorités administratives dans le domaine de la lutte contre les dérives sectaires.
Cette transparence imposée aux services de l’État par les textes en vigueur est naturellement indispensable, mais dans le cas particulier du domaine sectaire, présente des risques pour l’exercice même de la vigilance et la lutte contre les dérives sectaires. Les principaux sont de porter gravement atteinte à la sécurité de l’action de l’État, mais aussi, et surtout, à la sécurité des personnes, témoins, victimes directes ou collatérales, anciens adeptes…

Les effets pervers sur l’action de l’État

  • Sur le plan collectif

Le principal risque réside dans la communication aux associations sectaires de la ligne d’action des services de l’État, leur fournissant ainsi les arguments « sur mesure », en réponse aux médias ou devant les tribunaux. La conséquence la plus grave est bien de vider l’action des administrations de son sens en la rendant inefficace, inopérante voire dangereuse pour ceux qui collaborent avec elle.

  • Sur le plan individuel

C’est la stigmatisation dans les organes de communication des mouvements sectaires dans un but d’intimidation des personnes dont le nom figure sur les documents administratifs communiqués.

Cette « guerre d’usure » est encore plus difficile à gérer pour les victimes des sectes et leurs familles ainsi que pour les associations qui les soutiennent, car elles ont parfois à subir des procédures judiciaires coûteuses, alors même que les premières ont été ruinées par les exigences financières des organisations sectaires et que les secondes reposent sur le bénévolat et n’ont pas de fonds propres.

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