Les indices de perception du risque

Les indices de perception du risque sectaire élaborés par les commissions d’enquête parlementaires de 1995 et de 1999 ont été aménagés et reformulés à la lumière de l’expérience acquise par la MIVILUDES. Il convient de rappeler qu’un seul critère ne suffit pas pour caractériser l’existence d’un risque de dérive sectaire et tous les critères n’ont pas la même valeur. Le premier critère (déstabilisation mentale) est toutefois toujours présent dans les cas de dérives sectaires. C’est de la combinaison de plusieurs critères que naît la concrétisation d’un risque sectaire.

En voici la liste, adaptée au contexte particulier de la vie économique :

la déstabilisation mentale

Il s’agit d’un facteur de modification des comportements et en même temps le point de départ incontournable de l’emprise sectaire.
Les indices résident dans l’éventail des situations objectives qui pourront être appréciées comme étant constitutives de pressions graves et réitérées ou de techniques propres à altérer le jugement d’une personne (par exemple des attitudes d’agressivité ou de repli sur soi, la manifestation d’un stress aigu, l’apparition de troubles psychosociaux, le repérage d’un prosélytisme agressif de la part d’un salarié).          

la rupture avec l’environnement d’origine

Le changement de comportement d’un salarié doit amener les membres de l’entreprise ou la structure professionnelle dans laquelle il se trouve à se poser des questions sur une éventuelle appartenance à un mouvement à caractère sectaire ou sur une relation forte avec une entité pouvant générer des dérives sectaires.

C’est notamment le fait de certains prestataires de services intervenant dans l’entreprise principalement dans le cadre de la formation professionnelle. C’est aussi le cas lorsqu’un dirigeant ou un salarié manifeste progressivement un intérêt nouveau pour un schéma de modes de vie surprenants.

Ces interrogations se manifestent généralement lorsque la personne concernée :

- change brutalement de comportement (agressivité, désintérêt pour sa fonction, ses objectifs professionnels) ;
- fait preuve d’un prosélytisme agressif et non maîtrisé envers son entourage (collègues, famille…) ;
- consacre la majorité de son temps et de son énergie à son nouveau groupe « d’amis » ;
- rejette le monde extérieur, qu’il considère comme néfaste et inapte à comprendre ses « options » ;
- multiplie les absences au travail, conséquence d’une modification profonde de son rythme de vie.

les exigences financières exorbitantes

La contribution financière aux besoins du mouvement et de son maître se traduit principalement :

Pour la personne physique par :

- des dons faits à l’organisation ou au gourou ;
- la facturation de cours ;
- la facturation de stages ;
- la facturation de documents et / ou de livres ;
- l’acquisition de matériels le cas échéant.

Pour la personne morale par :

- l’insistance à obtenir des contrats manifestée par des prestataires affiliés ou juridiquement liés à des réseaux sectaires ;
- l’accaparement de salariés en dehors du lieu de travail dans le prolongement d’une prestation  réalisée au sein  de l’entreprise ;
- un manque de visibilité dans la détermination des tarifs de formations d’un catalogue de prestations, notamment entre formations de base et formations contingentes ;
- une progression des coûts dans un enchainement de formations ou prestations découlant les unes des autres.

l’infiltration des pouvoirs publics et des milieux économiques

Les mouvements à caractère sectaire sont connus depuis plusieurs années pour privilégier trois modes d’infiltration, qui concernent, d’une façon générale les fournisseurs de services :
– la formation : en créant leurs propres organismes de formation, les mouvements à caractère sectaire disposent d’un efficace subterfuge pour approcher les entreprises. Ainsi, ils créent une parfaite diversion sur leurs réelles intentions;
– le recrutement : une personne appartenant à un mouvement à caractère sectaire se fait embaucher dans une entreprise et devient, de ce fait, un indicateur précieux pour le groupe;
– l’informatique : des mouvements à caractère sectaire sont en lien juridique ou personnel avec des sociétés informatiques et interviennent dans les entreprises sur tout le champ des prestations de cette nature. C’est là l’occasion, pour l’organisation sectaire, de disposer d’un accès privilégié à la gestion des données au sein de l’entreprise, que ces dernières soit d’ordre commercial, stratégique ou encore relatives aux ressources humaines.

le discours anti-social

Les mouvements à caractère sectaire et leurs adeptes vivent dans une sorte de «microsphère ». Tout ce qui se déroule ou se dit à l’extérieur du groupe n’a, au mieux, aucune valeur à leurs yeux et sera, au pire, considéré comme dangereux, pernicieux et néfaste.
Dans le discours tenu par l’organisation à ses adeptes, le monde extérieur est systématiquement diabolisé. Les personnes extérieures, et donc non adhérentes au mouvement, sont réputées comme négatives et elles sont automatiquement rejetées.

On voit donc :
- l’apparition de « neo-langages » laissant entrevoir un détournement du sens des termes de référence des textes juridiques encadrant la vie professionnelle ;
- une réinterprétation des notions juridiques du droit du travail destinée à contredire tant les textes que la jurisprudence ;
-  des références confuses aux notions de « liberté de conscience », de « liberté religieuse, de « liberté spirituelle », de « liberté thérapeutique » et de «  connaissance spirituelle et énergétique ».

l’existence de démêlés judiciaires

Les organisations sectaires peuvent être naturellement assignées en justice du fait des actes dommageables et répréhensibles. Bien qu’encore timides, les plaintes deviennent un facteur déterminant dans l’ouverture de procédures judiciaires et le déclenchement d’investigations administratives. S’il est vrai que jusqu’à présent peu de procédures sont arrivées à leur terme, la vigilance s’exerce de mieux en mieux, et ce en particulier dans le cadre d’activités économiques des entreprises.
De leur côté, les mouvements saisissent la justice contre tous ceux qui les critiquent invoquant des propos diffamatoires ou une atteinte à leur image. Une situation de conflit entre les structures à caractère sectaire et les pouvoirs publics ou les personnes victimes d’un préjudice est en train de se dessiner et elle permettra certainement de clarifier un état de fait qui donne trop souvent aux victimes le sentiment d’une lutte entre le pot de terre et le pot de fer. En effet, la mouvance sectaire est solidement entourée, à la fois de groupes d’influence, de cabinets d’avocats et de pseudo-experts revendiqués par celle-ci, mais dans la réalité, à sa solde.

les troubles à l’ordre public

Toutes ces actions entraînant une atteinte, qu’elle soit physique ou morale, à l’intégrité d’une personne peuvent être observées comme un risque de trouble à l’ordre public.
Ces illégalités peuvent être de différente nature :
– l’escroquerie : c’est sur cette pratique basique, faite de fausses promesses et de mensonges, que repose en partie le mécanisme sectaire;
– l’abus de prosélytisme : l’adhésion au groupe induit progressivement une implication visible sur le terrain social dans le but de recruter de nouveaux adeptes alors même que la loi, dans certains cas, l’interdit expressément;
– le danger pour l’être humain : il peut s’agir de violences ou de pressions exercées de la part du mouvement d’adhésion, qui ont pour prolongement une extériorisation de comportements agressifs à l’égard du corps social;
– le refus de soins à l’égard des mineurs;
– les violences physiques de tous ordres, avec ou sans connotation sexuelle (brimades;  coups et blessures; séquestrations/mises à l’écart; non-assistance à personne en danger; exercice illégal de la médecine; agressions sexuelles).

les critères spécifiques à la sphère économique

Les mouvements et les réseaux sont susceptibles de commettre diverses infractions :
– le travail clandestin;
– le blanchiment d’argent;
– l’escroquerie;
– les fraudes à la consommation;
– le non-respect des règles de concurrence.

Ces délits sont susceptibles d’être commis dans un cadre sectaire incluant une supposée « emprise mentale », c’est-à-dire plus précisément dans le cadre de la commission de pressions graves et réitérées ou de techniques pouvant altérer le jugement d’un dirigeant ou d’un salarié d’entreprise, ce qui peut conduire ces derniers à la commission ou à l’abstention d’un acte qui sera gravement préjudiciable à l’entreprise.

L’utilisation appropriée des critères économiques d’appréciation du risque est donc déterminante, avec une approche à trois niveaux :

Les dépendances juridiques d’un prestataire vis-à-vis d’un réseau

En fondant et en intégrant dans leur organisation des cabinets de formation professionnelle, de recrutement, de conseil en management ou en gestion des ressources humaines, ou bien encore de sociétés de services informatiques, de gardiennage, de conseil ou d’audit, les mouvements à caractère sectaire se dotent de moyens d’intrusion par des voies d’apparence légale. Il faut dire que de nombreuses facilités, dues en partie à l’externalisation et aux besoins d’adaptation des personnes à des emplois en constante évolution, s’offrent à eux. Les mouvements à risques sont conscients du bénéfice qu’ils peuvent tirer de la professionnalisation de leurs vecteurs d’approche des populations qu’ils convoitent.

La recherche de clientèle, effectuée par un réseau dynamique dont il s’avère que les représentants sont eux-mêmes intégrés dans un réseau caractérisé par des dérives sectaires, s’effectue auprès de l’ensemble des entreprises en recherche de nouveaux personnels ou prestataires. Une fois le contact établi, un éventail de prestations est présenté aux entreprises.
S’appuyant sur des méthodes ou des pratiques de cabinets analogues en apparence à celles de cabinets classiques en ce qui concerne les métiers émergents, inspirés par les thèmes dans « l’air du temps », ces mouvements semblent appartenir au paysage harmonieux de la prestation de service, alors qu’en réalité ils exposent l’entreprise, malgré elle, à des risques sérieux tels que :
– accorder aux prestataires dépendants d’un organisme à caractère sectaire une certaine légitimité dans le milieu spécialisé;
– contribuer indirectement à l’enrichissement et au renforcement d’un mouvement;
– s’exposer à une détérioration de son image et à une perte de lisibilité de sa communication.

Les comportements insistants de la part d’un prestataire en vue de créer une dépendance économique, financière et psychologique

Le lieu de travail se révèle un lieu propice pour rallier de nouveaux membres à la cause sectaire. En effet, toutes les occasions sont bonnes pour l’adepte de propager la doctrine sectaire : pause-café, déjeuner, réunion... L’adepte tente d’éveiller la curiosité et les intérêts de ses collègues et ainsi de les amener à participer à des réunions ou à des activités en dehors des heures de bureau.
De même, certains prestataires favorisent la mise en relation durable, au sein de l’entreprise, des intervenants sensibles et des bénéficiaires de la prestation.
Le stage de formation « résidentiel » est un exemple de méthode de recrutement privilégiée pour la mouvance sectaire. Il s’agit là d’un contexte favorable puisque les relations de travail entre individus cèdent très vite la place à une ambiance conviviale et chaleureuse. Durant les séances, le formateur met les participants en confiance et les rend beaucoup plus réceptifs. C’est l’occasion de propager son message et ainsi d’« hameçonner » de nouveaux adeptes, pour utiliser leur propre terminologie.

Les risques de fraudes fondés sur les pratiques des relais économiques de mouvements à caractère sectaire

Nombreuses sont les organisations sectaires qui, par leurs pratiques et leurs agissements, contournent ou violent la loi. La recherche d’une légitimité professionnelle et d’une respectabilité économique, devenues essentielles pour le développement d’une logique de fonctionnement sectaire, les conduisent à redoubler d’ingéniosité et d’habileté tant sur le plan associatif qu’au niveau de leurs entités économiques.
La majorité des mouvements à caractère sectaire a notamment recours à l’utilisation de statuts avantageux. Ils sont constitués le plus souvent d’associations déclarées en application de l’article 5 de la loi du 1er juillet 1901 et en sociétés de droit commercial pour ce qui concerne leurs satellites lucratifs.
En se présentant comme un organisme à objet culturel ou spirituel et à but non lucratif, le mouvement à caractère sectaire se positionne clairement comme une entité respectable. L’habillage «religieux» (qu’il soit sincère ou non, là n’est pas la question) masque les liens entre le centre nerveux de l’organisme à caractère sectaire et les entités économiques qui lui sont rattachées par les liens soit personnels, soit juridiques. Ces liens sont à même de favoriser la réalisation d’actes frauduleux difficilement détectables. Ces actes seront commis non pas par l’association mais par des sociétés liées à elles, ayant une vocation économique, commerciale ou financière.
Derrière le masque, la vérité est tout autre. En effet, les desseins sont en réalité bien plus ambitieux et matériels qu’il n’y paraît.

Les mutations les plus récentes du phénomène sectaire indiquent même que la préoccupation « spirituelle » est de moins en moins de mise et que la finalité réelle est la mise sur le marché de concepts commerciaux à forte connotation pseudo-psychanalytique ou pseudo-scientifique. La fraude revêt différentes formes :
– la couverture d’une opération frauduleuse par l’utilisation d’un cadre juridique invoquant un objet social ou culturel;
– la réalisation d’un acte frauduleux au sein du lieu de travail par une ou plusieurs personnes du groupe;
– le financement d’un mouvement au moyen d’activités économiques déviantes.
 

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